Juridique

La loi française la moins respectée et ses impacts sur la société

3 400 : c’est le nombre de sociétés françaises assujetties à la loi sur le devoir de vigilance. Pourtant, moins de la moitié publient un plan conforme. Les autres ? Elles avancent masquées, entre lignes floues et engagement de façade. Ce texte, censé révolutionner la responsabilité des grandes entreprises, vit aujourd’hui dans l’ombre de sa propre promesse.

Alors que la loi impose depuis 2017 un devoir de vigilance strict aux groupes français, ses effets concrets peinent à s’imposer. Les contrôles sont rares, les sanctions tombent au compte-gouttes. Pourtant, les alertes se multiplient : ONG, syndicats, salariés, tous interpellent sur les défaillances persistantes. Les tribunaux, eux, voient fleurir les plaintes… mais rares sont les entreprises véritablement inquiétées.

Certains groupes cotés continuent leurs activités sans produire de plan de vigilance digne de ce nom. La loi prévoit pourtant un engagement direct : si le plan fait défaut, la responsabilité de l’entreprise est engagée. Dernièrement, la jurisprudence a mis à nu le fossé béant entre la lettre du texte et la réalité du terrain.

Les engagements RSE : obligations légales et cadre en France

Le cadre français sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a franchi un cap décisif. Depuis la promulgation de la loi dite « vigilance », les grandes sociétés mères et maisons-mères d’envergure internationale n’ont plus le choix : elles doivent formaliser un plan de vigilance. Cette exigence ne se limite pas à un affichage : il s’agit de documenter, cartographier les risques, mettre en place des dispositifs d’évaluation pour leurs filiales et partenaires, définir des procédures concrètes et instaurer des mécanismes d’alerte. Cette obligation, puisée dans le code civil, fait peser une responsabilité sur la société mère pour toute sa chaîne de valeur.

Il s’agit de répondre à des scandales qui ont secoué l’opinion : l’effondrement du Rana Plaza ou des cas de pollution industrielle ont servi d’électrochocs. Désormais, toute entreprise opérant en France, dépassant certains seuils de chiffre d’affaires et d’effectifs, 5 000 salariés sur le sol français ou 10 000 à l’international, doit rendre public son plan de vigilance. Ces exigences positionnent la responsabilité sociétale comme une pièce maîtresse du droit des sociétés.

Voici les axes majeurs autour desquels s’articule ce plan :

  • Identification des risques : exploitation du travail des enfants, atteintes à l’environnement, pratiques de corruption, incidents industriels graves.
  • Mise en œuvre effective : suivi rigoureux des fournisseurs, contrôle accru des sous-traitants, échanges réguliers avec les parties prenantes.
  • Transparence : publication annuelle du plan, consultations formelles, traçabilité et preuve des actions menées.

La France s’est hissée au rang de pionnière avec ce dispositif. Pourtant, force est de constater que la plupart des entreprises se contentent d’aligner les bonnes intentions sur le papier, sans que cela ne se traduise réellement dans leurs pratiques. Les contrôles restent peu nombreux, aucun mécanisme automatique ne sanctionne les manquements : l’écart entre l’ambition de la loi et ce qui se passe vraiment demeure flagrant.

Quelles conséquences juridiques pour les entreprises qui négligent leurs devoirs ?

En France, c’est le tribunal judiciaire de Paris qui concentre les actions portant sur le plan de vigilance. Saisir ce tribunal, c’est forcer à la lumière les défaillances liées aux droits humains ou à l’environnement dans toutes les ramifications de l’entreprise : filiales, fournisseurs, sous-traitants. Pourtant, le contentieux demeure balbutiant. Les premières assignations échouent souvent sur la forme : plans trop vagues, absence de preuve directe du dommage.

La responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ne s’arrête pas à leur siège social : elle s’étend à tous les maillons de leur chaîne d’approvisionnement. Si le plan de vigilance n’est pas appliqué de façon effective, le juge peut imposer des mesures correctives, voire infliger une astreinte. Aujourd’hui, la cour d’appel de Paris s’attache à vérifier la cohérence entre le plan affiché et sa véritable mise en œuvre sur le terrain.

Il existe une possibilité de recours devant la cour d’appel. Mais la procédure, technique et longue, peut décourager les ONG ou syndicats à l’origine des actions. Le droit se heurte alors à la complexité du réel : comment contrôler l’application d’un plan à l’autre bout du monde ? Comment garantir la traçabilité des actions ? L’absence de sanction automatique réduit la portée immédiate de la loi, mais la pression sur la réputation demeure constante. Les premières décisions à venir pourraient bousculer la stratégie des entreprises françaises et révéler si la vigilance peut devenir, enfin, une réalité tangible.

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Jurisprudences récentes et évolutions européennes : ce que révèlent les premiers jugements

Depuis que la loi sur le devoir de vigilance est entrée en vigueur, les décisions de justice se comptent sur les doigts d’une main. Quelques affaires emblématiques, souvent portées par des ONG, commencent à construire une jurisprudence française. Les juges du tribunal judiciaire de Paris scrutent le moindre écart entre ce que les entreprises promettent en matière de RSE et la réalité de leurs pratiques. Un exemple récent : la tentative de faire condamner Suez sur la base de son plan vigilance. Les failles sautent aux yeux : audits manquants, mesures trop générales, absence d’évaluation précise des risques sur les chaînes d’approvisionnement. Pour l’instant, les requêtes aboutissent rarement. Le droit progresse lentement, à tâtons.

L’adoption prochaine de la directive européenne sur le devoir de vigilance vient rebattre les cartes. Tous les états membres de l’Union européenne devront bientôt imposer aux entreprises dépassant certains seuils de chiffre d’affaires un contrôle approfondi de leurs impacts sociaux et environnementaux. Les premiers jugements français sont scrutés de près à Bruxelles : difficultés à contrôler l’effectivité des plans, rôle du juge dans la reconnaissance du préjudice, zones d’ombre persistantes… tout est passé au crible à l’échelle européenne.

Les acteurs concernés s’expriment ouvertement sur les enjeux de cette évolution :

  • Les ONG, à l’image d’Amnesty International, réclament des mesures plus transparentes et des sanctions à la hauteur des enjeux.
  • Les directions juridiques, elles, redoutent une inflation des procédures et une incertitude croissante sur le terrain normatif.

L’Europe s’apprête à fixer un nouveau cap : la France, fer de lance des obligations de vigilance, voit son modèle contesté mais aussi imité. La directive européenne, en cours de finalisation, obligera les entreprises à repenser chaque segment de leur chaîne de valeur. Bientôt, aucune zone d’ombre ne pourra subsister : la vigilance ne sera plus une option, mais un passage obligé pour toutes les grandes sociétés opérant sur le continent.